JOCHEN GERZ  

Square of the invisible monument , Saarbrücken

Détail de l’envers des pavés
Square of the invisible monument
En collaboration avec des étudiants de la HochSchule für Bildende Kunst de Saarbrücken

    A partir d'une liste des cimetières juifs existants en Allemagne avant WW 2 dressée avec l’aide d’étudiants de la communauté juive allemande, le nom de chaque cimetière est  gravé au dos d'un des pavés. Ils sont ensuite replacés devant le siège du Parlement régional.
    Projet « sauvage » et réalisé de nuit au départ, il a été ensuite soutenu par le parlement en question. La place du château de Saarbrück fut renommée place du monument invisible.

    Les cimetières - traces d' un passé - rendus présents par leur nom redeviennent des traces invisibles par enfouissement de la face inférieure des pavés gravés. Les photos, l'action sociale générée par le projet sont alors les traces de cette ouevre "invisible".  

Effacement des traces, les graver dans la mémoire, les faire "revivre".


    Jochen Gerz appartient à cette génération qui n’a pas voulu séparer le champ culturel de la vie quotidienne et a mené une critique de la représentation à travers celle du langage. Il s’attache ainsi, depuis 1969, à dénoncer le fonctionnement culturel de la société occidentale dans lequel le langage et l’écriture constituent selon lui une illusion. Dans cette période dominée par les mass-média, il constate leur incapacité à transmettre, à travers image et langage, une expérience authentiquement vécue. Ainsi en 1972, il a une conversation avec Sarkis, chacun s’adressant à l’autre dans sa langue maternelle, respectivement l’allemand et le turc. Intitulée Parler, cette pièce souligne la limite du langage dans la communication et dans sa capacité à permettre la compréhension entre deux individus.

    De l’Art n°3 appartient à une série de huit oeuvres qui regroupent photos et textes. Trois autres oeuvres de la série sont actuellement présentes dans les collections françaises (De l’Art n°1, Frac Rhône Alpes, De l’Art n°2, Frac Lorraine et De l’Art n°7, Musée de la Roche sur Yon). Le principe en est le même : des vues de deux formats différents entourent un texte, celui-ci étant toujours tapé à la machine et photographié. La présentation varie d’une oeuvre à l’autre de la série mais demeure fixe pour chacune d’entre elles.

    Dans De l’Art n°3 le texte se présente comme un dialogue contradictoire dont on ne sait s’il concerne un ou plusieurs interlocuteurs. Succession de remarques, de questions laissées le plus souvent sans réponse, l’ensemble des textes joue sur la dimension fictive pour constituer une réflexion sur l’art, ses enjeux et ses fonctionnements. Le dialogue évoque notre relation à l’image. Les vues sont celles de paysages, sommets montagneux ou couchers de soleil sur un lac. Prises du même point de vue, elles se répètent pratiquement à l’identique. Le rapport au sujet photographié, s’il emprunte au cliché, n’est investi d’aucune recherche esthétique, il est vidé de toute dimension émotionnelle. «Je veux regarder un feu sans brûler vif, sans périr par l’objet», précise l’artiste dans ce texte. C’est à l’image que nous avons à faire.

    Cette série marque un changement de direction dans l’oeuvre de Jochen Gerz. Moins directement liée à l’analyse de l’incommunicabilité du langage et à celle des aliénations culturelles, elle élabore une manière de constituer du sens en associant texte et photos mais cette fois en déplaçant la critique vers la fiction. Si sa réflexion est proche de celle d’autres artistes de sa génération, Jochen Gerz met en avant la référence à la vie quotidienne, à l’humain comme seul lien possible entre le texte et l’image. A partir de 1982, il séjourne longuement au Canada, dans l’île de Vancouver et choisit le mythe ou la poésie comme modes de formulation de ses doutes et de ses interrogations. Cette série se trouve à ce point d’équilibre, entre une mise en évidence des artifices du langage et la quête de l’humain.

 

C.L.

 in Panoramas, 1986-1991, la collection du Frac Bretagne 

1 - Pour la traductions des dialogues initialement rédigés en allemand :

Jochen Gerz : Von der Kunst = De l’art, AQ-Verlag, 1985, n.p.

Jochen Gerz, De l’art. Textes depuis 1969, Paris : (énsb-a), 1994, p. 32-40